La légalisation du cannabis | des enjeux inquiétants






Par Joëlle GagnonNancy Dussault et Claude Morin - 1er décembre 2017

Trois auteurs énoncent les risques pour la santé physique et mentale associés à la consommation de cannabis, particulièrement chez les jeunes. Ils postulent également que la légalisation du cannabis n’entraînerait pas de retombées économiques pour les coffres de l’État, pas plus qu’elle n’aurait pour effet de conduire le crime organisé à se retirer du marché.


Suite à l’annonce du gouvernement fédéral d’une légalisation à venir de la consommation de cannabis, un véritable débat de société s’est enclenché. L’équipe de la maison La Vigile soutient toutefois que l’idée de légaliser la marijuana est mauvaise. En effet, en nous penchant sur cette controverse, la question qui nous vient immédiatement en tête est la suivante : à qui profitera ce geste? La légalisation de la marijuana mérite que l’on s’attarde aux nombreuses conséquences sociétales qui en découleront, autant en matière de santé publique que de plusieurs aspects sociaux.
 

Impacts sur la santé physique et mentale

Afin de bien comprendre les enjeux, il est de mise de regarder de plus près les conséquences physiques et psychologiques de la consommation de cannabis. En effet, il est établi que le cerveau des adolescents peut être affecté de façon durable et irréversible par la marijuana. Également, plus l’individu est jeune, plus il est à risque : attention, mémoire et raisonnement peuvent être touchés. En d’autres mots, le cannabis peut rendre moins autonome. Et, parlant d’individu très jeune, pensons au fœtus. Comment la consommation de marijuana pendant la grossesse influe-t-elle sur le devenir de l’enfant à naître? Malheureusement, la recherche démontre1 que les enfants nés de mères ayant consommé beaucoup de marijuana durant la grossesse sont plus à risque de souffrir d’altérations de la mémoire, des aptitudes verbales et perceptives et du raisonnement verbal et visuel ainsi que de diverses malformations faciales.

Aussi, comme le cannabis est la plupart du temps inhalé sous forme de fumée, il produit des effets nocifs sur tout l’arbre respiratoire et n’a à ce titre rien à envier à la cigarette. Asthme, emphysème, cancer du poumon font partie des maladies causées par le cannabis.

Le tétrahydrocannabinol (THC) est la principale molécule responsable des effets psychoactifs du cannabis. Il favorise la sécrétion de dopamine dans le cerveau, et qui dit sécrétion de dopamine dit sensation de plaisir et de bien-être, ce qui explique le risque de dépendance à la substance : de l’ordre d’un consommateur sur onze en général, mais jusqu’à un sur six à l’adolescence! Nous savons en effet que le cerveau se développe jusqu’à l’âge de 25 ans et demeure donc plus vulnérable à l’apparition de maladies mentales découlant de la consommation de substances psychoactives.

Loin d’être un bien pour la société, le cannabis est une substance d’abus qui peut rendre dépendants certains individus pour la vie. Ses effets sont trop peu connus du public encore aujourd’hui, ce qui militerait donc en faveur d’une grande retenue. « Premièrement, ne pas nuire » dit-on en médecine…

Selon le Centre canadien de lutte contre les toxicomanies, plusieurs études épidémiologiques et neurobiologiques font ressortir une possible vulnérabilité des personnes prédisposées à la schizophrénie aux effets psychotiques du THC. En effet, une étude2 a démontré que le risque de schizophrénie était six fois plus élevé chez les sujets ayant consommé du cannabis à plus de 50 reprises avant d’avoir 18 ans que chez les sujets qui n’en avaient pas consommé. De plus, selon Henquet et coll., (2005)3 le risque de schizophrénie augmente en fonction de la dose de cannabis consommée. Ainsi, encore une fois, les adolescents sont particulièrement fragiles face aux effets néfastes de la consommation de cannabis. Par ailleurs, l’Association des médecins psychiatres du Québec4 souligne que les consommateurs de cannabis voient leurs risques de développer un trouble psychotique augmenter de 40 %, pourcentage qui attendrait même 390 % chez les utilisateurs lourds. De plus, nous savons que chez les personnes aux prises avec un trouble psychotique qui consomment du cannabis, la maladie se développerait de façon plus précoce et les consommateurs feraient de plus nombreuses rechutes lorsqu’ils tentent de se départir de leur dépendance.

Les données recueillies sur le site du gouvernement du Canada5 révèlent que des modifications apportées au règlement sur le remboursement du cannabis à des fins médicales en 2014 et en 2016 ont contribué à faire passer le nombre de vétérans en bénéficiant de 5 pour l’année 2008-2009 à 3071 vétérans pour l’année 2016-2017, faisant exploser les coûts de 19 088 $ à 31 millions de dollars. Pourtant, en 2016, le Centre canadien de lutte contre les toxicomanies a mis à jour, entre autres, un rapport rédigé sur le cannabis, lequel indiquait « ... qu’il y a trop peu d’études pour faire la promotion du cannabis et des cannabinoïdes comme principale option ou option de première ligne pour ces symptômes». Ainsi, des mises en garde importantes au niveau du cannabis médicinal ne devraient-elles pas également nous amener à nous questionner face aux impacts de la légalisation de la consommation de cannabis à des fins récréatives?
 

Et le crime organisé?

Le gouvernement libéral de Justin Trudeau prétend que la légalisation du cannabis amènera un meilleur contrôle des taux de THC, et donc que la marijuana sera moins nocive, celle-ci n’étant plus la chasse gardée du crime organisé. Toutefois, selon Stéphane Quéré7, criminologue et spécialiste des réseaux criminels, la dépénalisation de la consommation du cannabis aux Pays-Bas n’y a pas fait disparaître le crime organisé; celui-ci s’est simplement adapté et a réussi à s’implanter dans les coffee shops, tout en gardant la main sur la culture du cannabis. Stéphane Quéré établit également un parallèle avec la prostitution : en Allemagne, où les maisons closes ont une activité légale, elles sont pourtant sous la coupe des mafias. Autre exemple avec l’alcool : sa vente et la consommation sont légales, ce qui n’empêche pas les trafics. Ainsi, selon Mario Harel8, président de l’Association canadienne des chefs de police (ACCP), le marché de la marijuana représente 8 milliards de dollars actuellement au Canada, ce qui l’amène à croire que la légalisation de cette substance n’incitera pas pour autant le crime organisé à se retirer du marché; cette nouvelle législation pourrait par contre faire en sorte que le crime organisé modifie son commerce illégal de drogues en redirigeant ses effectifs entre autres vers le marché des opioïdes. Joanne Crampton9, commissaire adjointe à la Gendarmerie royale du Canada (GRC), fait quant à elle valoir qu’il faudra garder un œil attentif sur les tentatives potentielles du crime organisé de s’infiltrer dans le marché légal et de développer un marché d’exportation. Et si, finalement, le gouvernement atteignait son objectif utopique d’enrayer le crime organisé, s’en sortirait-il gagnant en bénéficiant des retombées économiques de l’industrie générée par la légalisation de la marijuana? Pour répondre à cette question, nous établirons un parallèle avec la consommation d’alcool.
 

Des bénéfices? Où et pour qui?

Nous savons que, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’alcool représentait, en 2002, le troisième facteur de risque de mortalité et de morbidité dans les pays développés, après le tabagisme et l’hypertension10. Parallèlement à cela, selon l’Institut de santé publique du Québec10, les bénéfices nets du gouvernement engendrés par la vente d’alcool étaient de 695 millions de dollars en 2002, alors que les coûts liés à la santé relativement à la consommation d’alcool étaient de 651 millions de dollars. Ainsi, non seulement l’alcool n’engendre pas de bénéfices financiers au gouvernement étant donné ce qu’il en coûte dans le domaine des services de santé, mais encore faut-il tenir compte du fait que les coûts réels sont subis par la personne dont la santé a été hypothéquée par la consommation.

Finalement, au plan social, les consommateurs de cannabis sont plus judiciarisés que les autres11, argument qui milite également en faveur d’une grande prudence lorsqu’il est question d’une possible légalisation de la marijuana. Au Colorado, État où la consommation de cannabis est légale depuis janvier 2014, une forte augmentation des consultations liées au cannabis dans les urgences psychiatriques a été rapportée. Au Québec, nous bénéficions d’un système de santé public qui parvient difficilement à suffire aux besoins de sa population. En ce qui concerne le processus de judiciarisation, nous savons que la prévention demeure le meilleur moyen de diminuer la criminalité. Toutefois, avec un système public qui peine déjà à répondre aux urgences, n’est-il pas utopique de croire que les services de premières lignes suffiront à fournir des services de façon préventive?
 

Hausse de la consommation à prévoir

Chaque semaine, l’équipe de La Vigile reçoit des appels à l’aide de personnes en détresse, en raison de leur consommation de cannabis. Peu importe la raison du début de la consommation, certains sont malheureusement sous l’emprise de cette drogue et incapables de se sevrer. Tous les aspects de leur vie sont atteints. Ils ont donc besoin d’une aide professionnelle. Comportements à risques, idées suicidaires, dépression, automutilation, absentéisme au travail, invalidité, voilà la réalité de certains consommateurs.

Actuellement parmi la clientèle de La Vigile, plusieurs personnes évitent la consommation de cannabis en raison du fait qu’elle est illégale. Selon la profession exercée, la consommation du cannabis est un motif de renvoi, par exemple pour les policiers ou les militaires. L’illégalité devient un facteur de protection pour ces personnes et pour bien d’autres dans la société. Malheureusement, la décriminalisation de la consommation de cannabis aura pour effet que plusieurs travailleurs commenceront probablement à en consommer. C’est ce que l’on entend de la part de notre clientèle actuelle. La légalisation aura pour effet de susciter de nouveaux utilisateurs, ce qui est inquiétant…
 

Des recommandations à considérer

Nous sommes d’avis que la légalisation de la marijuana se doit d’être reportée afin que les principaux acteurs soient davantage préparés à faire face aux conséquences qu’entraînera ce changement. Ainsi, nous croyons primordial que les recommandations émises par l’Association des intervenants en dépendance du Québec (AIDQ)12 soient mises de l’avant, telles que l’importance d’informer et d’éduquer dès maintenant la population afin de mieux outiller les personnes à faire des choix éclairés, de repérer celles qui sont à risque de développer un problème, plus particulièrement en milieu scolaire, d’offrir un soutien dans les milieux plus névralgiques, de créer un Observatoire sur les drogues et les habitudes de consommation au Québec et finalement, afin d’éviter que la grande majorité des jeunes se livre aux aléas du marché noir, de fixer l’âge minimum de consommation du cannabis à 18 ans, ce qui demeure selon nous un âge trop précoce étant donné que la majorité des psychiatres se prononcent en faveur d’un seuil fixé à 21 ans.
 

Notes

1   Porath-Waller, A.J. (2015) « Dissiper la fumée entourant le cannabis, effets du cannabis durant la grossesse-version actualisée ». Centre canadien de lutte contre les toxicomanies.

2   Andréasson, S., Engström, A., Allebeck, P. & Rydberg, U. (1987) “Cannabis and Schizophrenia. A longitudinal study of Swedish conscripts”. Lancet, Déc. 26;2(8574):1483-6

3   Henquet, C., Krabbendam, L., Spauwen, J., Kaplan, C., Lieb., R., Wittchen, H.U. & Van OS, J. (2005) “Prospective cohort study of cannabis use, predisposition for psychosis, and psychotic symptoms in young people”, Bmj, Jan 1;330(7481):11

4   Tiré de : http://ampq.org/legalisation-du-cannabis-a-des-fins-recreatives/

5   Tiré de : http://www.veterans.gc.ca/fra/news/vac-responds/just-the-facts/cannabis-medical-purposes

6   Centre canadien de lutte contre les toxicomanies (2016) Dissiper la fumée entourant le cannabis : Usage de cannabis et de cannabinoïdes à des fins médicales – version actualisée, page 1.

7   « Légaliser le cannabis ne mettra pas fin aux trafics », tiré de la revue l’Express. Publié le 10/01/2014. http://www.lexpress.fr/actualite/societe/legaliser-le-cannabis-ne-mettra-pas-fin-aux-trafics_1312856.html

8   « Légalisation du cannabis : le crime organisé restera, selon les policiers ». tiré du journal Le Soleil. Publié le 19/07/2017. https://www.lesoleil.com/actualite/legalisation-du-cannabis-le-crime-organise-restera-selon-les-policiers-c94550671bce94eea6f36ca9d17c5181

9   « Légalisation de la marijuana : sept enjeux soulevés dans le cadre du comité parlementaire », tiré du site de Radio-Canada. Publié le 11/09/2017. http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1055240/legalisation-cannabis-enjeux-saskatchewan-crime-organise-securite-publique-douaniers-produits-comestibles
 
10   « La consommation d’alcool et la santé publique au Québec : synthèse ». (2010) Institut national de santé publique, gouvernement du Québec. http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1055240/legalisation-cannabis-enjeux-saskatchewan-crime-organise-securite-publique-douaniers-produits-comestibles
 
11   « Les psychiatres inquiets de la légalisation du cannabis ». Tiré du journal Le Soleil. Publié le 24/08/2017. https://www.lesoleil.com/actualite/sante/les-psychiatres-inquiets-de-la-legalisation-du-cannabis-2f5cb5289190422a09a69441a7751d40

12   Consultations publiques sur l’encadrement du cannabis, avis de l’Association des intervenants en dépendance du Québec, août 2017.
 



Diplômée de l’Université Laval au baccalauréat en psychologie ainsi qu’à la maîtrise en sciences de l’orientation, lors de laquelle elle s’est principalement intéressée au retour au travail chez les personnes ayant souffert d’une problématique de santé mentale, Joëlle Gagnon est membre de l’Ordre des conseillers et conseillères en orientation du Québec. Depuis 2012, elle travaille à La Vigile, organisme spécialisé auprès d’une clientèle intervenant en situations d’urgence tels que les policiers, militaires et paramédics et qui offre des services de thérapie pour la dépendance, la dépression et le trouble de stress post-traumatique. Elle occupe actuellement le poste de directrice des services cliniques.
 



Infirmière depuis 1993, Nancy Dussault a œuvré dans le domaine public, privé et communautaire. De par son intérêt pour la santé mentale, elle a occupé le poste de coordonnatrice de l’équipe du service de première ligne (ligne d’aide) de la Commission de la construction du Québec de 2002 à 2014 et occupe depuis mai 2014, le poste de directrice des soins infirmiers à la maison La Vigile. Diplômée de l’université TÉLUQ (certificat en psychologie) en plus d’une formation de quatre ans en psychothérapie psychodynamique à l’Institut de psychothérapie du Québec, elle s’intéresse grandement aux traumatismes psychologiques et également à l’impact, à l’âge adulte, des événements vécus dans l’enfance.
 



Diplômé de l’Université Laval en médecine familiale, docteur Claude Morin est urgentologue à l’Hôpital St-François d’Assise depuis 2002. Son parcours l’a notamment amené à pratiquer la médecine aux Îles de la Madeleine, en Nouvelle-Zélande ainsi qu’en Australie. Médecin impliqué dans sa communauté, il a fait l’ascension du mont Kilimandjaro en 2011 pour la fondation Gilles Kègle, s’est impliqué auprès de la fondation Rêves d’enfants, a organisé la marche chrétienne en 2011 et 2012 et a été président du Rassemblement québécois contre l’euthanasie en 2013. Il est actuellement médecin affilié à La Vigile pour les résidents bénéficiant des services de thérapie fermée.




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